Histoire d’un flop de commerce de détail: Toutes les données agrégées sont de la m…

Quel beau magasin nous avions ouvert en décembre dans un centre commercial de la rive-sud:

Mais quelle déception de faire le bilan du résultat. Nous avons fait 25% de la projection que nous avions crue conservatrice au départ. Aussi bien dire que ça a été un échec monumental. Toutefois, on apprend de nos erreurs et j’ai analysé les raisons qui font que la réalité a été aussi loin de la projection. Continuez à lire si vous voulez éviter de tomber dans le même panneau…

Nous avons vraiment bien fait les choses pour notre première expérience de centre commercial. Évidemment, certaines choses auraient pu être améliorées dans la gestion du magasin, de l’inventaire et du marketing, mais en gros, je suis vraiment fier du travail qu’on a accompli. L’Erreur avec un grand « E », majoritairement responsable du flop monumental du magasin, a été de faire confiance à une donnée agrégée fournie par le centre commercial dans son pitch de ventes. La projection de ventes avait été faite à partir des ventes au pied carré moyenne pour l’année sans égard à la saisonnalité du commerce de détail, et pour le centre commercial  au complet, sans égard à la taille ou au type de magasin. Me fier à cette donnée ultra-aggrégée a été une erreur monumentale que j’analyse ici post-hoc pour votre bénéfice. Pourtant, les responsables du centre commercial avaient l’air vraiment convaincus de leur estimation, par le fait que le plancher de ventes à partir duquel nous devions leur payer une commission était assez élevé. Je peux vous dire qu’une chance qu’on avait un bail de seulement un mois, sinon les conséquences auraient été désastreuses.

La saisonalité et le type de magasin

J’avais réfléchi à l’erreur de saisonalité sur l’estimation de ventes, et je m’attendais justement à un biais positif considérant que le mois décembre est reconnu comme contribuant à 20% des ventes au détail de l’année. Première erreur : je n’ai pas vérifié ce chiffre, qui est pourtant une statistique que tout le monde a déjà entendu et qui est utilisée en commerce de détail comme si elle était une vérité absolue. En segmentant par secteur d’activité, il est vrai que certains secteurs du commerce de détail connaissent une augmentation importante (tout de même loin de 20% des ventes totales!). Toutefois, globalement, la différence est assez faible.

[1]

Donc au final, oui l’estimation pouvait être vue à la hausse pour le mois de décembre, mais pas dans une très grande proportion car le produit phare de Bigarade n’est pas nécessairement très populaire à offrir en cadeau.

La taille du magasin

Ensuite, la fameuse donnée de ventes agrégées au pied carré qui ne faisait pas de différence entre les petits et les grands magasins. Que le magasin soit un petit kiosque de cellulaires de 100 pieds carrés, un comptoir de restauration de 300 pieds carrés, la SAQ de 2000 pieds carrés ou un Sears de 100 000 pieds carrés, toutes les données vont dans le même panier. En y réfléchissant un peu, il est assez clair que les très petits magasins optimiseront mieux l’espace et obtiendrons plus de ventes au pied carré que les plus grands magasins.  Toutefois, lorsqu’est venu le temps de trouver une source crédible qui avait étudié ce phénomène, je suis tombé sur le néant. Vide total d’études analysant les ventes au pied carré en fonction de la taille, même dans l’excellente revue de littérature sur les centres commerciaux de Carter (2009)[2]. J’ai donc cherché à trouver un jeu de données sur lesquelles je pourrais au moins tester mon hypothèse, et les données de centres commerciaux semblent un secret assez bien gardé. Je suis donc allé voir mon meilleur ami Kaggle et j’ai trouvé un jeu de données de 45 magasins Wal-Mart de grandeurs différentes, contenant leurs ventes totales sur une période de presque 3 ans. Ce n’est pas un jeu de données idéal pour trouver ce genre de relations car Wal-Mart opère entre le énorme et le gigantissime, et je m’attendais à ce que la relation ressorte plus facilement si un jeu de données comportait aussi de très petites superficies en comparaison à de plus grandes sans nécéssairement aller dans le gigantesque. Finalement, même Wal-Mart, le meilleur exemple d’optimisation du commerce de détail, n’échappe pas à cette tendance.

En regardant la dispersion des données, on voit que ce n’est pas nécessairement le meilleur jeu de données pour trouver cette relation, mais je vous confirme que celle-ci est significative à p=0.013 (R2 = 0.135) pour la relation linéaire et p=0.005 (R2 = 0.170) pour la logarithmique. C’est-à-dire que chaque pied carré supplémentaire sera moins performant que le précédent. Je suis vraiment surpris de ne pas avoir trouvé d’étude portant sur l’optimisation de la taille des magasins de commerce de détail en fonction de l’économie d’échelle qu’une plus grande taille apporte! Mais certainement, dans le cas de Bigarade, le magasin de 5000 pieds carrés était beaucoup trop grand.

Conclusion

Nous nous sommes fiés à une seule donnée, pas très fiable, pour prendre toutes nos décisions d’affaires majeures du mois de décembre : de la commande en (trop) grande quantité de nos matières premières à la fermeture de notre boutique de la rue Sainte-Catherine pour le mois au complet, faute de ressources. C’est une erreur que je ne ferai plus jamais. Même dans l’optique où nous aurions pu garder notre boutique ouverte que nous n’avions pas commandé trop de matières premières, nous aurions perdu notre temps de façon monumentale. Toutefois, considérant ces deux éléments majeurs, le cout d’opportunité était vraiment trop grand. Nous n’étions pas prêts à prendre ce risque, qui n’a finalement pas rapporté. Oui, il faut faire des gamble en entrepreneuriat, mais nous allons être un peu plus prudents en 2018!

Et vous, quel a été votre plus grand gamble entrepreneurial? Est-ce qu’il a fonctionné? Je veux connaitre vos histoires, bonnes ou mauvaises!

[1] Retail trade, sales by the North American Industry Classification System (NAICS)

[2] What We Know About Shopping Centers, Journal of Real Estate Literature, Vol. 17, No. 2 (2009), pp. 165-180

L’asymétrie de l’information : une des causes de l’augmentation des ventes en ligne au détriment des ventes en magasin

Ce sujet m’est venu en tête lors d’une  visite dans un Best Buy, pour acheter un disque dur que j’avais besoin le jour même. J’ai entendu une conversation entre un client et un employé qui est allé un peu comme ceci :

  • Client (pointant un modèle de 3.5 pouces avec concentrateur USB intégré, et un autre de 2.5 pouces sans le concentrateur) : Quelle est la différence entre ces deux modèles de disques durs?
  • Employé (prenant la boite pour lire la description) : Je ne sais pas trop. Celui-là a plus de téraoctets. Donc vous pouvez mettre plus de fichiers.
  • Client : C’est vraiment la seule différence?
  • Employé : Oui oui, c’est vraiment juste ça.
  • Client : (Silence malaisant) OK, merci.

J’avais à ce moment moi-même une question à laquelle je cherchais une réponse sur mon téléphone, car les étiquettes en magasin n’étaient d’aucune utilité. J’ai tout de suite abandonné l’idée de la poser à l’employé qui n’avait manifestement aucune idée de quoi il parlait. Avec mon téléphone, j’avais plus d’informations que le magasin qui vendait le produit!

Avant l’Internet et les téléphones intelligents, les marchands possédaient plus d’information que les consommateurs dans la plupart des marchés. Un consommateur averti pouvait s’informer par les journaux, les magazines spécialisés ou encore des recommandations d’amis avant d’aller acheter un produit, mais, une fois rendu en magasin, le marchand était la dernière source d’informations disponible pour faire un choix, que ce soit avec l’affichage en magasin ou les connaissances des vendeurs. Outre les conseils des vendeurs, nécessairement subjectifs par leur objectif pécuniaire, les principaux signaux de qualité utilisés par le consommateur à cette époque étaient, en ordre d’importance, la marque du produit, le prix, l’apparence physique, et la réputation du marchand.[1] Avec l’avènement de l’internet et des téléphones intelligents, les sources d’informations ont été décuplées : avis d’experts, avis de consommateurs, sites de comparaison, spécifications, comparateurs de prix, etc. L’asymétrie de l’information a été renversée, en faveur des consommateurs plutôt que des détaillants.

Le concept d’asymétrie de l’information a été apporté par George A. Akerlof en 1970[2]. L’aspect qui nous intéresse le plus de cette théorie est que, dans un marché donné, plus l’asymétrie de l’information en faveur du vendeur est grande, plus le marché rapetisse, jusqu’à même disparaitre!  Au contraire, plus l’information disponible pour l’acheteur augmente, plus le marché augmente[3]. Les vendeurs malhonnêtes sont expulsés du marché, le prix diminue, la qualité augmente, et les consommateurs comme les vendeurs restants profitent du marché étendu.

Le marché de la vente au détail va très bien au Canada en ce moment, alors que les ventes en magasin ont augmenté de 7,5% et les ventes en ligne de 19,4% pour le mois d’octobre 2017 comparé à octobre 2016.[4] Bien que les ventes au détail traditionnelles conservent la part du lion du marché (97.6%!) comparé au commerce en ligne, je lance l’hypothèse que la croissance si élevée du commerce en ligne est en partie propulsée par l’augmentation de l’information disponible aux consommateurs. [5]

L’implication pour tout gestionnaire marketing travaillant dans la vente au détail est simple : devenez la source d’information par excellence pour le marché dans lequel vous êtes, et vous ferez nécessairement partie des leaders de ce marché. Un bon exemple d’une entreprise généraliste appliquant cette conclusion est Amazon : ses pages de produits possèdent une description et des spécifications fiables, ainsi qu’un très grand nombre d’avis et de Q&A de vrais consommateurs. Amazon défend farouchement son système d’évaluations, jusqu’à poursuivre les vendeurs qui tentent de le manipuler sur leur plate-forme. Une autre façon de faire peut être de devenir une référence dans notre sphère d’activité par le marketing de contenu[6]. Un excellent exemple d’une entreprise de chez nous qui utilise bien cette méthode est Café Barista avec son blogue et son tout nouvel Institut National du Barista. Clairement, ils sont devenus LA référence en café au Québec. En améliorant les connaissances des consommateurs sur le café, ils augmentent nécessairement la demande de café de meilleure qualité (leur marché) au détriment du café médiocre.

Maintenant que vous savez qu’un consommateur mieux informé est positif pour votre entreprise et pour le développement de l’économie en général, quelles sont les actions que vous pouvez entreprendre afin de mieux éduquer vos clients dans votre marché? J’aimerais vraiment avoir votre opinion dans les commentaires!

[1] Jacoby, J., Szybillo, G. J., & Busato-Schach, J. (1977). Information acquisition behavior in brand choice situations. Journal of Consumer research3(4), 209-216.

Rao, A. R., & Monroe, K. B. (1989). The effect of price, brand name, and store name on buyers’ perceptions of product quality: An integrative review. Journal of marketing Research, 351-357.

[2] Akerlof, G. A. (1978). The market for “lemons”: Quality uncertainty and the market mechanism. In Uncertainty in Economics (pp. 235-251).

[3] Levin, J. (2001). Information and the Market for Lemons. RAND Journal of Economics, 657-666.

[4] Le quotidien – Commerce de detail, octobre 2017 – Statistiques Canada

[5] Une bonne idée d’hypothèse à tester dans un mémoire ou une thèse!

[6] Un des objectifs de ce blog 😉