La vie est une suite d’embranchements qui nous mènent à une destination inconnue. La majeure partie de ces embranchements sont des décisions auxquelles nous accordons peu d’importance sur le moment. Toutefois, lorsqu’elles sont mises bout à bout, elles forment notre futur. Il y a parfois certaines décisions ou certains événements qui sont marquants et qu’on se rappelle de manière distincte, comme celui de visionner une simple vidéo Youtube de voyage qui nous fait prendre la décision de tout lâcher et de partir à l’autre bout du monde. Aujourd’hui, j’aimerais vous parler d’une décision toute simple que j’ai pris en 2014 qui était d’acheter le livre Talent Is Overrated: What Really Separates World-Class Performers from Everybody Else de Geoff Colvin. C’est ce livre qui m’a poussé à passer d’un certificat en marketing à temps partiel, à mes études de 2e cycle à temps plein. C’est ce livre qui a changé la perception que j’avais de moi-même, et qui m’a convaincu de toujours repousser mes limites. Dans cet article, je vous explique comment j’ai brisé la barrière psychologique du concept de talent.
Sommaire
Comment est-ce que je perçois le terme talent?
On entend souvent dire qu’une personne est talentueuse. Que ce soit dans une discipline artistique, sportive ou intellectuelle, c’est un qualificatif qui est employé fréquemment. Particulièrement dans les sports, on dit souvent de la performance des athlètes de haut niveau qu’elle semble facile. De l’autre côté du spectre, beaucoup de personnes se convainquent elles-mêmes qu’ils n’ont pas de talent dans quelque chose, et abandonnent avant même d’avoir essayé réellement. Le problème avec cette définition du talent est qu’elle suppose un genre d’éclair divin qui rendrait quelqu’un extraordinaire à quelque chose sans effort particulier de sa part. Ce que ce livre m’a fait comprendre est que cette définition du talent était fausse. Le talent est uniquement une prédisposition à devenir meilleur plus rapidement qu’un autre pour le même nombre d’heures de pratique, ou alors la capacité à dépasser un certain plafond de performance qui serait infranchissable pour une personne moins talentueuse. Pour une personne normale n’ayant pas de handicap mental ou physique, la variable la plus importante reste hors de tout doute le nombre d’heures de pratique délibérée.
Pour illustrer mon propos, j’utilise la fameuse règle des 10000 heures[1] de pratique de Malcolm Gladwell, popularisé dans son livre Outliers, dans le graphique ci-dessus. Remarquez qu’abstraction faite du niveau de talent, l’apprentissage suit généralement la même forme de courbe en « S »[2]. On suppose qu’une personne à talent élevé atteindra un plafond de performance plus élevé, et qu’il atteindra ce plafond plus rapidement qu’une personne à talent faible. Sa courbe d’apprentissage sera plus abrupte[3] et son apprentissage initial plus rapide. Considérant que la motivation intrinsèque à s’améliorer provient des gains obtenus par la pratique, il est aussi probable que les personnes à faible talent abandonnent plus facilement un domaine ou une activité que les personnes à talent élevé. Toutefois, une chose est très importante à remarquer : peu importe le niveau de talent, tous peuvent s’améliorer et performer à un niveau relativement élevé dans n’importe quel domaine. Cela dépend toujours de l’objectif escompté : devenir premier violon dans un orchestre de calibre international, médaillé olympique de triathlon ou chercheur réputé en biologie génétique demandera un haut niveau de talent et une pratique acharnée débutée à un très jeune âge. Toutefois, avec de la volonté et de la pratique, tout le monde peut décider de devenir violoniste, triathlète ou chercheur en biologie. Vous n’y croyez pas? Lisez l’histoire de Sonia Vallabh et Eric Minikel, transformant leur carrière à l’aube de la trentaine pour devenir chercheurs en biologie afin de guérir une malade génétique jusque-là incurable qui affecte l’un d’eux. Oui, ils sont bel et bien passés d’une carrière en droit et en urbanisme à une carrière de chercheurs en biologie. Pensez à cette histoire la prochaine fois que quelqu’un vous dis qu’il n’a pas de talent en sciences.
La pratique délibérée
Il y a un monde de différence entre la simple pratique et la pratique délibérée. La simple pratique consiste à répéter constamment les mêmes choses que nous sommes déjà capables de faire facilement. C’est évidemment agréable, car nous sommes dans notre zone de confort et nous avons un sentiment de contrôle et de performance. À l’opposé, la pratique délibérée n’est pas agréable : il faut être à l’extérieur de sa zone de confort et répéter quelque chose encore et encore, en y allouant toute notre concentration, ce qui est très demandant mentalement. Comme il s’agit d’une action que nous ne maîtrisons pas, ce n’est pas non plus motivant, car il n’y a pas de sentiment de contrôle et de compétence. Noel Tichy, un professeur au University of Michigan Business School, a créé trois cercles concentriques pour illustrer ces zones de pratique :
Dans la zone de confort, nous sommes performants, mais on ne s’améliore pas. Dans la zone d’apprentissage, nous ne sommes pas très performants, mais c’est à cet endroit que la pratique délibérée donne des résultats et permet d’élargir la zone de confort. Dans la zone de panique, la tâche est trop difficile et on n’a aucune idée de comment la gérer. Lorsqu’on désire s’améliorer, il faut bien distinguer ces trois zones, car il n’y a que dans la zone d’apprentissage que l’on peut espérer des résultats. Le rôle d’un professeur ou d’un coach est de nous garder dans cette zone d’apprentissage, qui peut être difficile à atteindre en pratique individuelle.
Une fois qu’on comprend bien quelle est la zone d’apprentissage, on commence à voir des résultats, particulièrement si on note notre niveau de performance à intervalles réguliers. Il existe différentes manières de quantifier notre performance en fonction du domaine de pratique, que vous serez certainement capable d’imaginer. L’important est de choisir une mesure et de la suivre dans le temps.
Qu’est-ce que ça change?
L’importance secondaire du talent par rapport à la pratique délibérée change tout. Si on croit que le talent brut existe et permet aux personnes extraordinaires d’être performantes principalement grâce à une capacité innée, il est facile de se convaincre soi-même que nous n’ayons pas l’un ou l’autre talent, et qu’il est peine perdue d’essayer de performer dans un domaine, qu’il soit professionnel ou personnel. Toutefois, si on comprend que la variable la plus importante de la performance est le temps alloué à la pratique délibérée, cela veut dire qu’on peut tout réussir, si on y met les efforts. Cette réussite peut être autant au niveau personnel que professionnel. Au niveau professionnel, c’est ce changement de perception qui m’a convaincu que j’étais capable de faire une maîtrise, d’apprendre à programmer et d’écrire ce blog. Au niveau personnel, c’est ce changement qui m’a persuadé que je pouvais jouer de la guitare pour le plaisir, malgré un abandon à mon adolescence. Mon talent à la guitare n’a pas changé (il est faible!) mais ma perception de l’importance du talent a changé. Maintenant, je me débrouille assez à la guitare pour avoir du plaisir, tout en sachant que je ne serai jamais une vedette rock.
Au final, ce changement de perception met la responsabilité de notre performance sur nos épaules et pas sur celles de nos gênes, du hasard ou de la chance. Nous sommes responsables de prendre les actions dans le présent qui assureront que notre futur est celui qu’on désire. Peu importe notre âge, il n’est jamais, jamais trop tard!
[1] Aucune étude n’a jamais confirmé ce chiffre, mais il est intéressant à utiliser comme point de départ pour quantifier l’idée de beaucoup, beaucoup de pratique.
[2] Fitts, P. M., & Posner, M. I. (1967). Human performance.
[3] Contrairement à l’usage courant, une courbe d’apprentissage faible est lorsqu’on apprend lentement, et une courbe abrupte est lorsqu’on apprends rapidement. http://www.intropsych.com/ch07_cognition/learning_curve.html