Un hybride entre le mealkit et l’Ă©picerie en ligne

Je lisais tantĂŽt un article sur la perte nette des MarchĂ©s Goodfood. C’est certainement impressionnant d’avoir plus que doublĂ© ses abonnĂ©s en un an (45 000 Ă  126 000!), mais combien de ceux-ci sont de rĂ©els abonnĂ©s que ne font pas que surfer les promotions? Il faut se questionner sur le modĂšle d’affaires mĂȘme d’une entreprise avec une perte nette de 4,9M sur un revenu de 29,6M – c’est-Ă -dire une perte de 20%. Ça fait toute une pente Ă  remonter avant d’ĂȘtre profitable!

Un KPI que je serais vraiment curieux de savoir pour les MarchĂ©s Goodfood (et tous les autres compagnies de mealkits, d’ailleurs!) est le LTV/CAC, qui permet de voir le ratio entre la valeur Ă  vie d’un client et son coĂ»t d’acquisition. Avec ses campagnes d’acquisition trĂšs agressives, je parie que celle des MarchĂ©s Goodfood est infĂ©rieure Ă  1. On conseille gĂ©nĂ©ralement de garder ce ratio entre 2 et 4.  Ă‡a prendra des poches profondes afin de faire vivre cette entreprise jusqu’à la rentabilitĂ©, qui ne pourra ĂȘtre atteinte que par une baisse importante des coĂ»ts d’acquisition, suivie d’une baisse de la croissance des abonnĂ©s, et Ă©videmment d’investisseurs mĂ©contents!

Je ne suis pas un fan du modĂšle d’affaire de l’offre de service actuelle des compagnies de mealkits. Je trouve que c’est beaucoup de main d’Ɠuvre peu productive, remplir des petits pots de vinaigre balsamique et emballer des oignons verts individuellement dans des sacs de plastique. Toutefois, quand on cherche plus loin, la vraie valeur des compagnies de mealkits, qui explique Ă©videmment leur popularitĂ©, n’est pas le produit lui-mĂȘme, c’est le convenience. Le cĂŽtĂ© pratique de ne pas avoir Ă  aller Ă  l’épicerie aussi souvent, mais surtout le fait de ne pas avoir Ă  choisir des recettes sur des sites web fragmentĂ©es pour ensuite les Ă©crire sur un papier qu’on va perdre, pour ensuite oublier la moitiĂ© des choses qu’on voulait acheter Ă  l’épicerie.

Les gros joueurs d’épicerie n’ont pas encore vu que c’était lĂ , la vĂ©ritable valeur de ces entreprises. Un seul joueur s’en approche, IGA, avec sa plate-forme de recettes en ligne qui permet de cocher les ingrĂ©dients manquants sur chaque recette qu’on sĂ©lectionne pour les mettre automatiquement dans le panier d’épicerie. Toutefois, deux problĂšmes majeurs ne permettent pas Ă  cette plate-forme de rayonner :

  1. La fonctionnalitĂ© elle-mĂȘme ne fonctionne pas : quand on essaie d’ajouter plusieurs produits au panier, seul le premier est ajoutĂ© Ă  titre de recherche qu’on doit ensuite choisir. Exemple, s’il faut acheter des pommes, il faut choisir le type de pommes. C’est trop de friction : il faudrait que le produit optimal pour la recette soit dĂ©jĂ  programmĂ© dans la recette, par exemple 2lbs de pommes Fuji ajoutĂ©es directement dans le panier d’achats.
  2. La plate-forme fonctionne seulement en achat simple plutĂŽt qu’en abonnement, ce qui fait qu’on doit rĂ©acquĂ©rir les utilisateurs constamment.

Il n’en faudrait pas beaucoup pour qu’IGA (ou un autre gros joueur) lance sa propre plateforme de mealkits personnalisĂ©e, et diffĂ©renciĂ©e des joueurs actuels :

  1. Une plate-forme oĂč on s’engage Ă  acheter de maniĂšre hebdomadaire, avec un paiement rĂ©current donnant droit Ă  la livraison gratuite, qui pourrait se transformer en carte-cadeau si la balance n’est pas utilisĂ©e et qu’on dĂ©cide d’arrĂȘter notre abonnement.  
  2. Une dizaine de recettes différentes proposées chaque semaine parmis lesquelles on peut en sélectionner le nombre de notre choix.
  3. Un systĂšme permettant de sĂ©lectionner uniquement les ingrĂ©dients qu’on a besoin pour chaque recette, sans ceux qu’on a dĂ©jĂ  : on oublie les oignons verts emballĂ©s individuellement alors qu’on en a dĂ©jĂ  pleins dans le frigo!
  4. Un systĂšme de suggestion des recettes de la semaine en fonction de ce qu’on a achetĂ© la semaine prĂ©cĂ©dente : si on a achetĂ© 5 lbs de patates la semaine passĂ©e, il doit en rester cette semaine, et le systĂšme pourrait mettre en valeur une recette comportant cet ingrĂ©dient qui est peut-ĂȘtre restant.

Il s’agirait lĂ  d’une excellente maniĂšre de fidĂ©liser une clientĂšle jeune et dynamique, attirĂ©e par la facilitĂ© des services de mealkits, Ă  un prix bien plus raisonnable par le modĂšle d’affaires mĂȘme. Ajoutez Ă  ça un vrai centre de distribution automatisĂ© Ă  la Tesco en Angleterre, les seuls joueurs qui font vraiment bien l’épicerie en ligne, et vous avez lĂ  un vrai modĂšle d’affaire qui ferait de vrais profits. Parions qu’avec ça, la part de marchĂ© abysmale de 1.3% de ventes en ligne de l’Ă©picerie au Canada[1] augmenterais rapidement!

Quelqu’un Ă©coute chez IGA, MĂ©tro, Sobeys?

[1] DonnĂ©es Nielsen – Q3 2018


UPDATE #1

J’ai reçu plusieurs messages par rapport Ă  ce billet. Voici une petite prĂ©cision que j’ai envoyĂ©e Ă  Judith Fetzer chez Cookit (mes prefs!)…

Salut Judith! Mon article n’a jamais Ă©tĂ© Ă©crit comme un attaque mais plutĂŽt comme une idĂ©e de plus-value Ă  ajouter Ă  l’offre existante des compagnies de mealkits. D’ailleurs, j’ai modifiĂ© le wording pour changer “ModĂšle d’affaires” par “Offre actuelle”. Le modĂšle d’affaire lui-mĂȘme est excellent, c’est l’offre qui pourrait ĂȘtre encore meilleure. Don’t get me wrong, tous ceux travaillant dans cette industrie sont au top de leur game, et ca doit ĂȘtre un dĂ©fi marketing hallucinant Ă  rĂ©aliser. Vous ĂȘtes fort probablement les leaders au niveau de la finesse du marketing. Et c’est aussi un dĂ©fi technique et logistique hallucinant. Je ne remet rien de ça en question! Ce que je trouve, c’est que c’est dommage d’avoir Ă  reçevoir en petites quantitĂ©s des ingrĂ©dients que j’ai probablement dĂ©jĂ , le fameux exemple du 10mL de vinaigre balsamique dans un cup de plastique. Si tu lis l’article jusqu’Ă  la fin, je propose une maniĂšre de mĂ©langer le concept du mealkit et de l’Ă©picerie en ligne, en amenant le meilleur des deux offres avec aucunes de leurs faiblesses. C’est un dĂ©fi technique Ă  rĂ©aliser, mais considĂ©rant ce que vous avez dĂ©jĂ  accompli, c’est clairement dans le domaine du possible. 

Maintenant, si on parle chiffres, ce qui me fait peur de cette industrie, c’est le churn hallucinant. En utilisant tes chiffres et en supposant une commande moyenne de 149$ (4 repas de 4 portions), on se retrouve avec un churn de 12% par semaine pour un LTV de 1200$. C’est Ă©norme! Ça veut dire qu’en une annĂ©e, sur 1000 inscrits, il reste… une personne. OĂč vont les 999 autres? Retournent-ils Ă  l’Ă©picerie traditionnelle ou Ă  l’offre marketing allĂ©chante du concurrent? C’est difficile Ă  dire. Toutefois, nous sommes un petit marchĂ©, et l’acquisition de clients va frapper un mur un moment donnĂ©. Pour GoodFood, le sujet original de mon article, il faut souhaiter qu’ils deviennent profitables avant de frapper ce mur la, sinon le churn exponentiel va leur rentrer dedans. Si tu veux en parler plus en dĂ©tails, je suis pas la pour basher. J’ai juste eu une idĂ©e qui ne s’applique pas Ă  mon industrie et je voulais la partager, mais je l’ai peut-ĂȘtre fait un peu maladroitement 🙂

UPDATE #2

Cet article a vraiment explosĂ© par rapport Ă  l’analyse du churn, mĂȘme si le sujet principal de l’article Ă©tait plutĂŽt une idĂ©e d’extension d’offre de service… Il faut quand mĂȘme que je fasse un mea culpa! J’ai gĂ©rĂ© des services d’abonnements oĂč les stats Ă©taient faites mensuellement et ou le churn Ă©tait trĂšs faible. Dans ces cas, assumer un churn linĂ©aire peux fonctionner, c’est mĂȘme une façon trĂšs conservatrice d’analyser ses donnĂ©es, et ca a le mĂ©rite d’ĂȘtre trĂšs simple Ă  calculer.

Toutefois, dans le cas d’un churn plus Ă©levĂ© et de stats calculĂ©es de maniĂšre hebdomadaires, la game change complĂštement car Ă  ce moment, la courbe exponentielle est trop Ă©levĂ©e. J’ai eu la chance que Daniel McCarthy, Assistant Professeur en Marketing Ă  Emory University’s Goizueta School of Business, vienne commenter sur mon billet LinkedIn. Il est une sommitĂ©e mondiale dans cette industrie! Il suggĂšre de calculer le churn en deux segments, l’un a churn Ă©levĂ© et l’autre Ă  churn faible, Ă  l’aide de donnĂ©es secondaires de cartes de crĂ©dit provenant de Second Measure. Comme je n’ai pas accĂšs Ă  ce genre de donnĂ©es secondaires, j’ai pensĂ© faire un modĂšle exponentiel double, avec un churn qui diminue chaque semaine pour la cohorte originale. M. McCarthy a spĂ©cifiĂ© que ce genre de modĂšle Ă©tait un peu moins performant que celui Ă  double segments de donnĂ©es secondaires, mais serait tout de mĂȘme valide. Le modĂšle naif (sans donnĂ©es) avec une diminution du churn hebdomadaire de 5% semble mieux fitter avec les donnĂ©es fournies par Judith: LTV de 1200$, commande moyenne de 82$, pour un churn semaine 1 d’un peu oins de 7%, mais qui diminue rapidement ensuite, pour laisser environ 25% de utilisateurs Ă  la fin d’un an qui devraient coller pour de bon, avec un churn de moins de 0.5% Ă  la fin de l’annĂ©e pour cette cohorte:

La logique est qu’un client qui a gardĂ© le service pendant 1 an est clairement qualifiĂ© pour ce genre de service. C’est vraiment plus intuitif qu’un churn linĂ©aire. C’est aussi plus complexe, mais vraiment nĂ©cĂ©ssaire pour une frĂ©quence comme celle-ci. Ça donne une idĂ©e du dĂ©fi d’analyse de donnĂ©es de cette industrie, ce n’est qu’une preuve de plus que ceux qui oeuvre dans ce domaine sont vraiment au top. Chapeau!

Quand j’aurai un peu de temps libre, je vais faire un modĂšle sur de vraies donnĂ©es pour voir si un modĂšle exponentiel double va avoir un bon fit, et ainsi Ă©viter le besoin de donnĂ©es secondaires. Je ferai un autre article de blog sur le sujet! Si vous ĂȘtes curieux comme moi, allez lire les articles de M. McCarthy sur le sujet. C’est ce que je vais faire de ce pas!